Le Trophee d'Amour
LE TROPHEE
d'Amour.
IE suis Amour le grand maistre des Dieux,
Ie suis celuy qui fait mouvoir les Cieux,
Ie suis celuy qui gouverne le monde,
Qui le premier hors de la masse esclos,
Donnay lumiere & fendi le Chaos;
Dont fut basti ceste machine ronde.
Rien ne sçauroit à mon arc resister,
Rien ne pourroit mes fleches eviter,
Et enfant nud je fais tousiours la guerre.
Tout m'obeyst, les oiseaux esmaillez,
Et de la mer les poissons escaillez,
Et les mortels heritiers sur la terre.
La paix, la tréve, & la guerre me plaist,
Du sang humain mon appetit se paist,
Et volontiers je m'abbreuve de larmes:
Les plus hautains sont pris à mon lien,
Le corselet au soldart ne sert rien,
Et le harnois ne defend les gend' armes.
Ie tourne & change & renverse & defais
Ce que je veux, & puis je le refais,
Et de mon feu toute ame est eschaufée:
Ie suis de tous le Seigneur & le Roy:
Rois & Seigneurs vont captifs devant moy,
Et de leur cœurs s'enrichit mon trofée,
De Iupiter le Sceptre j'ay donté.
Jusqu'aux enfers j'ay Pluton surmonté,
Et de Neptune ay blessé la poitrine:
De rien ne sert aux ondes la froideur,
Que les Tritons ne sentent mon ardeur,
Et que mon feu n'embrase la marine.
La volupté, la Ieunesse me suit,
L'oisiveté, en pompe me conduit.
Ie suis aveugle, & si ay bonne veuë,
Ie suis enfant, & suis pere des Dieux,
Foible, puissant, superbe, gracieux,
Et sans viser je frappe à l'impourveuë.
L'homme est de plomb, de rocher & de bois,
Qui n'a senti les traits de mon carquois:
Seul je le fais & courtois & adestre:
Les cœurs sans moy languissent refroidis,
Ie les rends chauds, animez & hardis,
Et bref, je suis de toute chose maistre.
Qui ne me voit, au monde ne voit rien:
Ie suis du monde, & le mal & le bien,
Je suis le doux & l'amer tout ensemble,
Ie n'ay patron ny exemple que moy,
Ie suis mon tout, ma puissance & ma loy,
Et seulement à moy seul je resemble.
d'Amour.
IE suis Amour le grand maistre des Dieux,
Ie suis celuy qui fait mouvoir les Cieux,
Ie suis celuy qui gouverne le monde,
Qui le premier hors de la masse esclos,
Donnay lumiere & fendi le Chaos;
Dont fut basti ceste machine ronde.
Rien ne sçauroit à mon arc resister,
Rien ne pourroit mes fleches eviter,
Et enfant nud je fais tousiours la guerre.
Tout m'obeyst, les oiseaux esmaillez,
Et de la mer les poissons escaillez,
Et les mortels heritiers sur la terre.
La paix, la tréve, & la guerre me plaist,
Du sang humain mon appetit se paist,
Et volontiers je m'abbreuve de larmes:
Les plus hautains sont pris à mon lien,
Le corselet au soldart ne sert rien,
Et le harnois ne defend les gend' armes.
Ie tourne & change & renverse & defais
Ce que je veux, & puis je le refais,
Et de mon feu toute ame est eschaufée:
Ie suis de tous le Seigneur & le Roy:
Rois & Seigneurs vont captifs devant moy,
Et de leur cœurs s'enrichit mon trofée,
De Iupiter le Sceptre j'ay donté.
Jusqu'aux enfers j'ay Pluton surmonté,
Et de Neptune ay blessé la poitrine:
De rien ne sert aux ondes la froideur,
Que les Tritons ne sentent mon ardeur,
Et que mon feu n'embrase la marine.
La volupté, la Ieunesse me suit,
L'oisiveté, en pompe me conduit.
Ie suis aveugle, & si ay bonne veuë,
Ie suis enfant, & suis pere des Dieux,
Foible, puissant, superbe, gracieux,
Et sans viser je frappe à l'impourveuë.
L'homme est de plomb, de rocher & de bois,
Qui n'a senti les traits de mon carquois:
Seul je le fais & courtois & adestre:
Les cœurs sans moy languissent refroidis,
Ie les rends chauds, animez & hardis,
Et bref, je suis de toute chose maistre.
Qui ne me voit, au monde ne voit rien:
Ie suis du monde, & le mal & le bien,
Je suis le doux & l'amer tout ensemble,
Ie n'ay patron ny exemple que moy,
Ie suis mon tout, ma puissance & ma loy,
Et seulement à moy seul je resemble.
Translations
Literature
- Fontaine Verwey 1968. Originally from Pierre de Ronsard. Ronsard, Oeuvres complètes, vol/p. 1/1003